En tant que collectionneur – compulsif ou occasionnel – de disques vinyles, un jour ou l’autre, vous vous êtes probablement interrogé sur la restitution sonore sensée ravir vos esgourdes. Depuis le retour en grâce de la galette noire, et à moins d’être sourd, il n’est pas rare de constater que, qualitativement, il y a peu de différences entre la réédition LP d’un enregistrement prétendument 100% analogique et celle d’un Compact Disc né du miracle de la conversion numérique grâce à laquelle, dans les années 80, l’industrie musicale s’est empressé de jeter le bébé avec l’eau du bain du vinyle pour promouvoir le juteux marché de la prometteuse technologie digitale.
Sauf que. Dans la précipitation, par méconnaissance et surtout à cause d’un irrépressible besoin d’engranger un maximum de bénéfices en un minimum de temps, la transition de l’analogique vers le numérique a souvent donné un résultat décevant, parfois même catastrophique. Notamment quand il s’agissait d’adhérer aux standards audio de l’époque: gonflement des basses et brillance des aigus au détriment du spectre médium dans lequel – excusez du peu – règnent entre autres les voix. Alors oui! Hosanna, Dieu du ciel béni, gloria, alléluia! Louée soit la belle initiative sensée redonner vie aux enregistrements d’antan produits par nos artistes et groupes préférés.
Sauf que. À cette même époque. Dans la précipitation, par euphorie et surtout pour de basses raisons de facilité, les bandes archives ont été – dans les meilleurs des cas – déplacées pour être stockées dans des conditions désastreusement dégradées, perdues et parfois même détruites. Alors savez-vous ce qui se cache au fond des sillons de votre coûteuse collection de vinyles flambant neuve? Tout simplement du son issu d’un archivage numérique lui même créé à partir de maters analogiques. Faut-il pour autant crier haro sur le baudet? Pas forcément! Le procédé utilisé pour exploiter ce nouveau filon s’appelle le Direct Stream Digital et il a été développé en tant que format d’archivage pour l’audio avec un taux d’échantillonnage 256 fois plus élevé qu’un CD ordinaire. Un processus de bien meilleure qualité que la moyenne.
Sauf que. L’industrie musicale, encore elle, se garde bien d’informer son panel de consommateurs que pour pouvoir pleinement jouir des bienfaits de ces alléchantes gravures, il faudra se débarrasser de son Teppaz et investir dans des équipements dignes de ce nom: ce que communément l’on appelle du matériel Audiophile (du latin audire: entendre et du grec philein: aimer), source de satisfaction auditive parfois masturbatoire.
Audiophiles, le terme est lâché. Une association de ces individus qui, contre vents et marées, n’ont jamais été en voie de disparition, vient de déposer un recours collectif contre une société de réédition de disques en affirmant que le terme de ″Original Master Recording″ vanté et promu par le label est frauduleux. À l’origine de la requête, une resucée en tirage limité du premier album des Pretenders paru en 1979. Après avoir acheté ce qu’il considère comme le Saint Graal, un résident de Caroline du Nord s’est rendu compte en comparant assidument son édition originale analogique avec sa nouvelle acquisition, qu’il y avait anguille sous roche ou plutôt crapaud dans le diamant. Plainte a donc été déposée sous couvert du fait que le DSD évoqué plus haut n’est en aucun cas un processus analogique de bout en bout, contrairement à ce que prétend MOFI (Mobile Fidelity Sound Lab) pour appâter les collectionneurs inconditionnels prêts à payer généreusement les vinyles qui leur sont… Chers!
Moralité. À quelques exceptions près et à condition de faire l’impasse sur des bruits de surface, de passer du temps à éliminer la poussière, de fermer les yeux sur des pochettes écornées et de privilégier les souvenirs, peut être vaut t’il mieux se contenter de dénicher des enregistrements datant de l’ère de l’audio pré-numérique à un prix raisonnable plutôt que de succomber aux sirènes du vintage à tout prix et aux argumentaires mensongers. Même remastérisée, même en 180 grammes, 50 euros la réédition du Deep Purple in Rock, ça fait quant même mal au fondement. Mais comme dirait l’autre: c’est vous qui voyez!
Patrick BETAILLE, août 2022